Carnet de Voyage / 3 idées de pages originales

Le carnet de voyage n’est pas seulement un compagnon pour rassembler croquis, aquarelles et souvenirs : c’est aussi un terrain d’exploration créative, un espace où chaque page peut devenir un mini-univers.

Pour aider les débutants comme les plus expérimentés à varier les formats et les approches, je te propose aujourd’hui trois types de mises en page faciles à préparer et très amusantes à remplir :

  • la page cabinet de curiosités
  • la pleine page
  • la page à bulles

Ces trois formats s’adaptent à toutes les situations — voyage, balade en ville ou après-midi au café — et permettent d’apprendre à regarder différemment.

1. La page Cabinet de Curiosités

La page Cabinet de Curiosités consiste à peindre ou dessiner plusieurs rectangles ou carrés de couleur directement dans ton carnet, avant même d’avoir commencé à dessiner. Ces cadres deviennent autant de petites fenêtres prêtes à accueillir des croquis rapides, des détails observés, une phrase, une texture, une couleur prélevée sur place…

Idéal pour :

  • les sorties au musée
  • les sorties au jardin botanique ou au parc
  • une journée de voyage façon chronique

Pourquoi c’est génial ?

  • Tu retires le stress de la page blanche : les cadres invitent naturellement à remplir.
  • Tu peux varier les formats : petits, moyens, très étroits… cela guide le type de croquis à réaliser.
  • Tu te constitues une “planche” de souvenirs vivante, parfaite pour capturer plusieurs moments d’un même lieu.
  • Ce format te pousse à aller à l’essentiel et à regarder les détails tout en lâchant prise sur l’injonction à reproduire tout le sujet.

Comment faire :

  1. Avant de commencer la visite, balade ou partir à l’assaut de ta journée :
    • Créer sur ta page des cadres de couleurs remplis ou non, de tailles différentes.
    • Laisser du blanc entre les cases pour un effet “cadre”.
    • Tu peux utiliser des feutres de couleurs, de l’aquarelle, des crayons aquarellables ou juste coller des rectangles de papier de couleur.
    • Laisse bien sécher tes cadres avant de partir.
    • Attention de choisir un medium sur lequel il est possible de dessiner !
  2. Durant ta visite/balade/journée, fait des croquis au stylo liner ou au stylo bille des éléments qui te marquent, qui t’enchantent, qui te surprennent, etc.
    • Par exemple : des silhouettes, des feuilles, des façades, des textures, de petits objets, des motifs, des détails de tableau ou d’architecture…
    • Tu peux t’amuser à sortir du cadre et tester des points de vue différents.
    • S’il te reste des cases vides à la fin de ta visite, n’hésite pas à poser des mots sur tes émotions ou à prendre des photos des éléments que tu dessineras plus tard-
  3. Astuces :
    • Si tu remplis tes cases, choisi des couleurs de fond assez claires pour pouvoir dessiner/écrire par-dessus
    • Ne choisis que 2 à 4 couleurs différentes pour ne pas surcharger la page
    • Si tu as un billet d’entrée (ici exemple MAH, billet d’entrée rose) choisis tes couleurs en fonction pour harmoniser la page.
    • Ose tester, même si tu ne “sais pas dessiner”, tu seras surpris.e du résultat !

Ta page devient ton petit cabinet de curiosités personnel.


2. La pleine page

La “pleine page” consiste à utiliser toute la surface disponible, que ce soit en format vertical, horizontal, sur une double page complète. C’est une approche immersive, parfaite pour saisir l’ampleur d’un paysage ou la verticalité d’une architecture impressionnante.

Idéal pour :

  • les paysages & panorama (horizontal)
  • les monuments (vertical)

Pourquoi c’est génial ?

  • En double page A5 ou A4, tu crées une composition cinématographique en plan large qui traverse la pliure du carnet.
  • Tu t’offres un grand espace pour créer, idéal pour les panoramas, les scènes urbaines ou les vues spectaculaires. Ose voir grand !
  • En vertical, tu valorises les monuments élancés : façades gothiques, tours, gratte-ciel, arbres immenses…
  • En horizontal, tu racontes l’étendue : lignes de montagnes, rizières, port, plages, ruelles longues…

Comment faire :

  1. Choisis ton orientation selon le sujet :
    • Horizontal pour les panoramas, paysages ouverts, lignes d’horizon.
    • Vertical pour les sujets étroits et hauts, ou les scènes en contre-plongée.
  2. Décide si tu veux utiliser une seule page ou les deux : la double page permet de retranscrire une sensation d’espace plus forte.
  3. Esquisse (crayon ou aquarelle très diluée) les grandes masses d’abord : ciel, silhouettes, volumes principaux.
  4. Ajoute les détails progressivement, couche par couche, en laissant respirer certaines zones pour maintenir l’ambiance.
  5. À l’aquarelle, travaille en larges lavis pour poser l’atmosphère, puis ajoute quelques accents précis pour guider l’œil.
  6. Une fois sec, ajoute tes textes : date, lieu et anecdotes

La pleine page est une invitation à entrer dans la scène, à capturer une sensation globale avant de s’attarder sur les détails.


3. La page à bulles

La page à bulles repose sur une simple idée : dessiner ou tamponner des cercles de tailles différentes sur la page, puis les remplir avec des croquis, des mots, des impressions ou de petites aquarelles.

On obtient une page ludique, rythmée et pleine de surprises, idéale pour résumer une expérience, un marché, un repas, un quartier ou une journée riche en petites découvertes.

Idéal pour :

  • les sorties en nature
  • les jours de flemme

Pourquoi on adore ?

  • Les bulles apportent de la variété et du dynamisme grâce au jeu sur les différents formats des bulles.
  • Tu peux harmoniser ta page grâce à l’aspect ouvert/fermé des bulles.
  • Tu peux mélanger texte et dessin sans rigidité.
  • Ce format est parfait pour saisir des objets précis : tasse, ticket, plante, détail architectural, texture, motif…
  • Tu peux donc choisir de représenter que des petits bouts d’une scène et non sa totalité.

Comment faire ?

  1. Avant de commencer ta balade, dessine des bulles avec un gabarit (verre, couvercle de bocal, rouleau de scotch, washi tape, …).
  2. Varie bien la taille des cercles pour créer du rythme.
  3. En balade, remplis-les selon ton envie :
    • petites scènes capturées sur le vif.
    • oiseaux, passants, végétation
    • mini-aquarelles,
    • notes de voyage,
    • impressions sensorielles
  4. Choisi tes médiums en fonction du côté pratique (plein air ou intérieur). Rappelle-toi qu’un simple stylo bille suffit pour créer une jolie page !

La page à bulles devient un kaléidoscope de souvenirs, léger et joyeux.


Trois mises en page pour enrichir ton carnet

Ces trois formats — cadres colorés, pleine page et page à bulles — stimulent ta créativité tout en offrant des façons différentes d’observer le monde. Que tu dessines en extérieur ou dans un café, ils t’aident à trouver ta propre manière de documenter ce que tu vois.

Tu peux même combiner ces approches :
→ une série de bulles dans une composition verticale
→ des cadres colorés autour d’un sujet monumental
→ un paysage panoramique accompagnée de notes en petites bulles

Le carnet de voyage devient alors un espace de jeu, d’expérimentation et de poésie visuelle.

(c) Le Japon avec Andrea

Les textes et images de cet article sont soumis aux droits d’auteur, aucune réutilisation partielle ou complète n’est autorisée.

Carnet de voyage / Pages “en cours de route”

En octobre dernier je suis partie 5 jours au sud de la France pour faire les premiers repérages en vue d’un projet en 2026 et bien sûr, j’ai tenu un carnet de voyage.

La folie d’octobre ayant été ce qu’elle a été, les pages sont restées telles quelles, certaines finies, d’autres en chantier, d’autres à peine esquissées… Je prévois de les finir d’ici fin décembre, mais en attendant, elles font un joli sujet d’article !

A travers ces pages j’ai eu envie de te montrer ce que ça peut être, un carnet “en cours de route“. Principalement pour :

  • t’aider à lâcher-prise sur le résultat
  • t’aider à être plus indulgent.e avec toi-même et prendre le temps
  • t’aider à voir les différents processus de créations qui demandent du temps et un certain engagement
  • et comprendre que certaines pages resteront inachevées, et c’est très bien
  • t’inspirer à commencer un carnet de voyage lors de ta prochaine escapade !

J’ai réunis ces pages ici, pour arrêter de se mettre la pression et commencer à créer, là, maintenant, tout de suite.


Vallauris – du 20 au 24 octobre 2025

Quelques pages finies pour :

  • se motiver à terminer son carnet une fois rentré.e
  • se souvenir de l’ambiance et de nos intentions premières

Quelques pages en chantier avec de la place pour :

  • venir écrire plus tard des infos locales ou tes émotions mis en mots
  • venir détailler et mettre en forme des informations reçues en vrac (par exemple notes sur la visite de l’usine Fragonnard à Grasse)

De nombreuses pages à peine esquissées mais avec :

  • des notes plus ou moins précises
  • des croquis
  • des liens vers les photos prises afin de me rappeler ce que j’avais prévu au départ

Une visite privée de mon carnet (toujours en cours en novembre 2025)

  • 3 pages finies
  • 3 pages en cours
  • 6 pages esquissées qui attendent mots et couleurs

Objectif : finir toutes ces pages pour fin décembre

Vu mon emploi du temps et les impératifs qui arrivent début décembre, ce ne serait pas réaliste de m’imposer de finir ces pages avant… d’où l’importance de prendre des notes, des photos et de commencer les pages sur place !

(C) Le Japon avec Andrea, tous droits réservés

Moyô les motifs japonais-retours sur nos ateliers créatifs aquarelle/couture

Cette année dans le cadre de l’Automne de la culture japonaise 2025 mon amie Florence et moi avons proposé deux ateliers sur le thème des motifs japonais: un atelier aquarelle avec des motifs décoratifs et un atelier couture pour créer une pochette avec des tissus japonais aux motifs plus sobres voire géométriques.

Verdict ?

✨️ 5 ateliers complets

✨️ 16 participants comblés

✨️ 9 pochettes uniques

✨️ 21 cartes décorées

✨️ 12 litre de thé genmaicha

✨️ 5 gâteaux aux carottes maison

✨️ Milles sourires et retours positifs

Merci pour cette belle édition 2025 !

Les mots de nos participants

Merci pour ce très beau moment de douceur. Je suis très heureuse de repartir avec une pochette finie ! Merci encore pour cet accompagnement de qualité autant dans la réalisation de la pochette, que dans les explications concernant les motifs des tissus. – M.

J’ai beaucoup aimé cet atelier d’aquarelle original et bien présenté. Avoir un aperçu des différentes techniques (mouillé sur mouillé, mouillé sur sec, sec sur sec), même sur des sujets limités a été très enrichissant pour moi qui débutait complètement. Pouvoir repartir avec une petite palette de couleurs artisanales m’a donné l’occasion de tout de suite m’y remettre une fois rentrée! Merci pour cette découverte! – P.

C’est toujours un plaisir de suivre les cours d’Andrea et cette fois-ci, avec la couture j’étais vraiment curieuse. Une fois de plus il n’y a rien à redire : deux passionnées qui nous partagent connaissances, précision et bonne humeur. Je recommande chaudement ! – F.

Carnet de Voyage / Saline Royale d’Arc-en-Senans

Voici un compte rendu de mes pages de carnet créés à l’occasion de la sortie annuelle du Jeûne genevois par l’association Suisse-Japon section Suisse romande.

Cette année direction la Franche-Comté pour une visite guidée de la Saline royale d’Arc-et-Senans et de ses différentes expositions, suivi d’un repas japonais à Dole.

Aquarelle, feutre et stylo sont les médiums utilisés au fil de ces pages. Si j’ai commencé la plupart des pages sur place je les ai finies tranquillement chez moi, dans le confort douillet de ce début d’automne.

Bon voyage !


Jeudi 11 septembre 2025 – 7h / Rendez-vous à la gare pour un départ en minibus

  • Levé du jour avant les virages et le mal des transports… (aquarelle, croquis et ébauche de texte dans le bus)

10h – Arrivée à Arc-et-Senans

  • Saline royale et visite guidée avec un historien passionné (j’ai pris beaucoup de notes et j’ai fait des croquis)
  • Détail des bernes à droite de la maison du directeur (croquis sur place)
  • Vue des bernes d’en face (premières couches sur place, finitions en intérieur)
  • Musée du sel
  • Exposition temporaire – Corto Maltese (jusqu’au 9 novembre 2025). Un vrai coup de cœur pour les noirs et la force graphique d’Hugo Pratt. Et cette citation…
  • Musée Nicolas Ledoux (l’architecte de ce lieu incroyable) et vue du bus direction Dole.

13h – repas japonais à Dôle, chez Iida-ya

  • Au menu : chawanmushi champignon, tempura, canard sur lit de haricots verts et patate douce accompagné de riz et de soupe miso, en dessert une crème brûlée au sésame noir. Miam miam miam !
  • Avec mes voisines de table on a aussi pris une dégustation de saké pour accompagner l’entrée. le plat et le dessert. Une découverte !

Une belle escapade culturelle et créative, ponctuée de beaux échanges.


Saline royale d’Arc-et-Senans, patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1982.

www.salineroyale.com

L’accès à Arc-et-Senans est possible en train.

Si vous y allez en voiture et que vous passez par le Jura, n’hésitez pas à aller voir les nombreuses cascades du parc national du Haut-Jura. J’ai un faible pour la “cascade du hérisson” 😊

Restaurant Iida-ya, Rue Sergent Arney 16, 39100 Dole

www.iida-ya.fr

(c) Le Japon avec Andrea, tous droits réservés.

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Ohara Koson – Le silence vivant de la nature

Un artiste discret au cœur d’un renouveau


Né en 1877 à Kanazawa, Ohara Koson (小原 古邨) est une figure singulière de l’estampe japonaise du début du XXe siècle. Il traverse une époque de bouleversements, où l’art japonais oscille entre traditions millénaires et influences occidentales croissantes. Formé d’abord à la peinture de style nihonga (peinture traditionnelle japonaise), Koson se spécialise ensuite dans un genre à la fois ancien et en pleine mutation : les kachō-e, ou “images d’oiseaux et de fleurs”.

Son nom véritable était Ohara Matao. Il prendra d’abord le nom d’artiste Shōson (昇邨), puis Koson, notamment lorsqu’il commence à produire des estampes destinées à l’exportation.
Contrairement à d’autres artistes de la même époque, il ne cherche pas à peindre les foules, les villes modernes ou les femmes sophistiquées de Tokyo. Il préfère capter le souffle du vivant, dans des scènes naturelles à première vue simples, mais d’une grande finesse d’observation. Libellule sur une feuille de lotus, papillon en vol, moineau dans la neige… tout est dans la pureté de l’instant.

Ohara Koson, “Mouettes au-dessus des vagues”, estampe Shin-hanga, vers 1915.

Le contexte : entre tradition et renouveau

Ohara Koson émerge dans un Japon qui a connu l’ouverture forcée à l’Occident (ère Meiji, 1868–1912) et une rapide modernisation. Cette transition entraîne le déclin de l’estampe traditionnelle ukiyo-e, concurrencée par la photographie et la presse illustrée. Mais au début du XXe siècle, un renouveau s’amorce avec le mouvement shin-hanga (新版画), ou « nouvelle estampe ».
Le shin-hanga combine les méthodes artisanales japonaises (dessin, gravure sur bois, impression manuelle), avec une sensibilité picturale moderne : lumière, atmosphère, expressivité.

Dans ce mouvement, Koson joue un rôle particulier : il ne se consacre ni aux paysages (fūkei-ga), ni aux portraits féminins, mais presque exclusivement au genre kachō-e. Il renouvelle avec élégance cette tradition ancienne, proche de l’esthétique du haiku, qui célèbre la nature dans son dépouillement.

Ohara Koson, “Deux carpes koi”, estampe Shin-hanga, vers 1910.

Le mouvement shin-hanga

Le terme shin-hanga (新版画) signifie littéralement « nouvelle gravure ». Ce courant artistique est né au Japon au début du XXe siècle, autour des années 1910, en réponse au déclin de l’estampe traditionnelle ukiyo-e. Il s’agit d’un renouveau artistique qui cherche à préserver l’art de l’estampe sur bois tout en l’adaptant aux goûts modernes — notamment à ceux des collectionneurs occidentaux.
Le shin-hanga garde la méthode artisanale de production en collaboration entre l’artiste, le graveur, l’imprimeur et l’éditeur (comme chez les ukiyo-e), mais s’ouvre à :

  • des effets de lumière inspirés de la peinture occidentale (ombres, reflets, couchers de soleil),
  • une approche plus naturaliste dans les visages, les paysages ou les animaux,
  • une ambiance plus émotionnelle et poétique.


Ohara Koson s’est inscrit dans ce mouvement, même s’il s’est spécialisé presque exclusivement dans un genre très particulier…

Ohara Koson, “Chat et bol au poisson rouge”, estampe Shin-hanga, 1931.


Le genre kachō-e

Le mot kachō-e (花鳥絵) signifie « images de fleurs et d’oiseaux » (花 ka = fleur, 鳥 chō = oiseau, 絵 e = image). C’est un sous-genre de l’estampe japonaise qui remonte à bien avant Koson, mais auquel il a donné une nouvelle élégance, dans l’esprit shin-hanga.
Contrairement à l’ukiyo-e classique, centré sur les portraits de geishas ou d’acteurs de kabuki, les kachō-e célèbrent la nature dans ses détails les plus délicats :

  • oiseaux en vol ou posés,
  • fleurs de saison,
  • petits insectes,
  • scènes de pluie, de neige ou de vent.


Ce n’est pas une peinture purement décorative : chaque image porte une ambiance saisonnière, parfois même une charge symbolique ou poétique.
On pourrait dire que le kachō-e, c’est la version visuelle d’un haiku : concentré, évocateur, plein de silence et de suggestion.

Ohara Koson, “Lys et papillons”, estampe Shin.hanga, vers 1912.

Style et influences

Ohara Koson est formé par Shibata Zeshin, maître de la peinture décorative et du réalisme raffiné. Il s’inspire également des peintres de l’école Maruyama-Shijō, qui prônent une observation attentive du vivant et une certaine souplesse dans le trait.
Mais ce qui fait la force de Koson, c’est :

  • sa sobriété : des arrière-plans souvent neutres, pour mieux faire vibrer le sujet,
  • son utilisation subtile de la couleur, jamais criarde, souvent fondue,
  • son attention au détail, qu’il s’agisse d’une plume, d’une aile d’insecte ou d’une vibration dans l’eau,
  • son art du silence : ses images respirent. Elles laissent de l’espace, du blanc, du vide. Ce vide n’est pas un manque, mais un appel à la contemplation.
Ohara Koson, “Libellule et lotus”, estampe Shin-hanga, vers 1930.

Trois visions de l’été par Koson

1. Lotus et libellule
Dans cette estampe minimaliste, une libellule repose sur une feuille de lotus. Le fond est clair, presque vide. La tige ondule légèrement, et la libellule semble suspendue dans le temps.
Le lotus (symbole de pureté née de la boue) et la libellule (symbole de fugacité et d’agilité) condensent ensemble l’essence de l’été : un moment suspendu, fragile, intense.

Cette œuvre incarne la beauté silencieuse si caractéristique de Koson.

Ohara Koson, “Glycine et abeille”, estampe Shin-hanga, vers 1930.


2. Glycine et abeille
La glycine tombe en grappes légères, dans un mouvement presque musical. Une abeille s’en approche, ou vient d’en partir : l’instant est figé entre deux battements d’ailes.
La glycine (fuji) est une fleur de fin de printemps qui annonce l’été. L’abeille, infatigable travailleuse, incarne la vitalité de la saison chaude.
Ici, le dynamisme discret et la composition en diagonale renforcent l’impression de mouvement. L’image est simple, mais vibrante. Elle incite à la contemplation.

Ohara Koson, “Saumons sautant”, estampe Shin-hanga, vers 1930.


3. Saumon sautant
Un saumon jaillit hors de l’eau dans un arc élégant. Le fond est bleu-gris, la surface de l’eau striée de traits légers. L’œil du poisson est vif, son corps tendu vers le haut.
Ce saut symbolise à la fois la force de la nature, le cycle de la vie, et l’instant décisif. Simple, presque anodin et pourtant vital.

Koson nous offre ici une image de puissance silencieuse, sans bruit, sans éclat — juste l’essentiel : le mouvement pur.

Ohara Koson, “Gobe-mouche sur un plant de concombre”, estampe Shin-hanga, vers 1910.

Héritage d’un maître du fragile

Ohara Koson meurt en 1945, peu après la fin de la guerre. Son nom reste peu connu au Japon, mais ses œuvres rencontrent un grand succès en Occident, notamment aux États-Unis, où elles sont collectionnées dès les années 1910.
Aujourd’hui, on redécouvre son génie discret (une série d’exposition commémorant les 80 ans de la mort de l’artiste, notamment au musée Ota à Tokyo) : celui d’un artiste qui a su capter l’intensité d’un instant éphémère, sans jamais forcer le trait, en laissant toujours place au silence. Ses estampes nous rappellent que dans un monde bruyant et agité, il est bon de regarder une libellule, une fleur ou un poisson, simplement… et longtemps

Sources

(c) Le Japon avec Andrea

Ralentir… et créer pour vaincre la chaleur

En été, la canicule nous contraint à lever le pied. L’air semble figé, le corps ralentit, et l’esprit s’égare plus vite. Et si, au lieu de lutter contre cette torpeur, nous apprenions à l’habiter ?

Loin d’être une pause forcée, ce ralentissement est une invitation à être pleinement présent — à soi, à ce qui nous entoure, à notre geste créatif.

Voici trois petites pratiques estivales pour explorer la lenteur, avec ce que tu as sous la main : un carnet, un peu de couleur, des chutes de papier

1. Écriture automatique estivale

Temps : 10 minutes

Matériel : carnet ou feuille, stylo ()carte postale, papier origami, stylo colorés, crayons aquarellables, amuse-toi !

Installe-toi près d’une fenêtre ou dans un coin tranquille. Pose-toi une question simple, presque anodine :

  • Qu’est-ce que je ressens maintenant ?
  • Par la fenêtre, je vois…
  • Sur ma table il y a…
  • Par cette chaleur, l’air se fige, comme…
  • Le ventilateur ronronne et moi…
  • En ouvrant mon carnet, j’ai envie de…

Maintenant écris, sans t’arrêter, sans juger, sans revenir en arrière. Laisse venir les mots comme une brise légère : souvenirs, sensations, bribes de pensées.

Si rien ne vient, écris plusieurs fois “rien ne vient” jusqu’à ce qu’un mot vienne tout déclencher.

💡 Astuce : pour aller plus loin, choisis un mot lié à l’été (chaleur, fenêtre, lumière, figue, soif…) et fais-le apparaître dans chaque phrase, comme un fil rouge.

L’objectif n’est pas d’écrire “bien”, mais d’écrire vrai, lentement, en s’écoutant.

2. Taches et tracés : jouer avec les formes

Temps : 20 minutes

Matériel : aquarelle ou encre diluée,feutres ou crayons de couleurs, papier, stylo fin noir

Commence par poser quelques taches de couleur sur ton papier, sans chercher de forme : joue avec l’eau, les mélanges, les zones plus ou moins sèches. Attends que ça sèche complètement.

Maintenant observe ces tâches aléatoires : une silhouette, un nuage, une plante apparaissent-ils dans ces taches ? Avec ton stylo, dessine par-dessus ce que tu vois. Tu peux ajouter un détail floral, un personnage, un objet du quotidien, des pattes et un bec pour faire un oiseau, des jeux de texture… vas là où ta créativité t’emmène.

💡 Variante lente : repasse plusieurs fois au même endroit en dessinant pour ralentir le trait et y mettre plus d’intention. Tu peux aussi mettre un minuteur.

💡 Pour aller plus loin : Tu peux choisir une gamme de couleurs ou un thème en amont. Les jaunes-oranges, les verts-bleus ou les rouges-violets pour travailler les oiseaux, les objets de l’été, les arbres ou simplement ce que tu vois par la fenêtre.

C’est une méditation active : voir sans forcer, dessiner sans but.

3. Collage d’ambiance : mood board sensoriel

Temps : 30 minutes

Matériel : magazines, vieux papiers, ciseaux, colle, carnet, feutres, stylo

Feuillette quelques pages de magazine et découpe/déchire ce qui t’attire sans réfléchir : une texture, une couleur, une silhouette, un mot.

Assemble-les ensuite en écoutant ton humeur : cherche une atmosphère d’été, une sensation plutôt qu’un sens. Mets un minuteur 3-5min pour ne pas trop penser et laisser la place à ton intuition.

Colle les éléments en les laissant respirer. Puis écris une phrase, un texte ou juste un mot sur ce que tu ressens là, maintenant, en regardant ta composition.

💡 Conseil : n’hésite pas à inclure un papier de soie froissé, une étiquette, une photo floue… tout ce qui évoque l’été à ta façon.

Ce collage est un miroir doux de ton monde intérieur, sans jugement.

Si tu veux venir découvrir d’autres activités ludiques à intégrer ou non dans ton carnet de voyage, le stage Initiation au carnet de voyage est pour toi.

(c) Le Japon avec Andrea

Le renouveau au Japon : pluie, rituels et objets saisonniers

Tsuyu, la saison des pluies

Au Japon, le mois de juin marque l’arrivée du tsuyu (梅雨), littéralement “la pluie des prunes”. A l’origine, ce kigo évoque la pluie qui tombent sur les prunes déjà mûres1, tout comme “le vent bleu du sud” (青風) évoque le vent qui passe dans les jeunes feuilles (bleues) du début d’été. Tsuyu c’est surtout des pluies intenses venues du sud et qui remontent tout le Japon pendant le mois de juin. C’est une saison particulière, enveloppée de brume, de silence mouillé et de reflets changeants. Cette période, qui dure environ un mois et demi, est frappée d’épisodes pluvieux aléatoires, voire de véritables déluges.2 Cette saison, souvent redoutée pour son humidité, est aussi synonyme de renouveau.

La pluie, loin d’être seulement un désagrément, est porteuse de sens : elle nourrit la terre, prépare les rizières, et lave symboliquement les impuretés des six premiers mois de l’année.3 Dans la tradition japonaise, cette transition humide est un moment d’équilibre entre purification, introspection et préparation de l’été

  1. Ima hajimeru hito tame no haiku saijiki, Kadokawa edition, 2022, p.130.
  2. PINON Matthieu, Une année japonaise, immersion dans le quotidien japonais au fil des douze mois de l’année, Ynnis Edition, 2017, p.35.
  3. Ibid, p.42.

Les fleurs de saison : les ajisai

Parmi les symboles les plus emblématiques de cette saison : les ajisai 紫陽花 (hortensias). Ces fleurs aux couleurs changeantes selon l’acidité du sol sont très aimées au Japon, Appréciant l’humidité, cette plante d’Extrême-Orient peut-être bleue (sol acide) à rose (sol alcalin), mais peut passer par toutes les nuances de mauves et de violets.1 Leur floraison coïncide avec les premières grandes pluies, offrant un spectacle à la fois mélancolique et profondément apaisant.2

  1. JEGU Zoé, Japon, l’Archipel aux 72 saisons, éd. Sully, 2023, p.53.
  2. Ima hajimeru hito tame no haiku saijiki, Kadokawa edition, 2022, p.208.

Le rituel de purification de mi-année : Nagoshi no Harae

Chaque 30 juin, les Japonais célèbrent le Nagoshi no Harae (夏越の祓え), un rite ancestral de purification. À cette occasion, de grands cercles de miscanthus ou roseaux de Chine (chinowa) sont installés à la verticale devant les sanctuaires shintô. Le rituel veut qu’on les traverse trois fois avant de réciter une prière pour chasser les impuretés accumulées durant la première moitié de l’année.1
C’est un moment de recentrage personnel mais aussi spirituel, où l’on exprime le désir de commencer l’été avec un esprit purifié. Il est aussi courant de remplir un petit talisman de papier représentant une silhouette humaine (hitogata), sur lequel on souffle ses impuretés avant de le jeter à la rivière ou au feu.2

  1. JEGU, p.67.
  2. Idem.


Un temps propice au repli

Le tsuyu est aussi une saison d’intimité : on ralentit, on reste chez soi, on savoure une tasse de thé en écoutant les gouttes d’eau tomber contre les tuiles. Ce climat doux favorise les activités contemplatives comme la calligraphie, la lecture ou l’écriture de haikus — souvent consacrés à la pluie, aux grenouilles, ou à l’éclosion de la nature estivale.


aogaeru onoremo penki nuritate ka *

青蛙おのれもペンキぬりたてか

elle aussi,

serait-elle fraîchement peinte

la grenouille bleue

Ryûnosuke Akutagawa

*Tiré de Schôgakusei no manga haiku jiten, éd. Gakken, p.105, traduction (C) Le Japon avec Andrea.

Explications

Ici le kigo, ou mot de saison, d’été est “grenouille bleue” (青蛙). C’est une sorte de rainette très répandue au Japon. On l’appelle aussi “grenouille de pluie” car on la voit souvent juste avant la pluie, comme si elle l’annonçait. C’est un kigo évocateur et poétique.

Si le kigo “grenouille” kaeru (蛙 ) est signe du printemps, “grenouille bleue” est associé à l’été et à la saison des pluies.

Ce haiku fait référence à l’aspect brillant que prend la peau de la grenouille sous la pluie, comme si elle avait été peinte. Ici la pluie n’est donc que suggérée et rend le jeu de perception des éléments encore plus délicat.

Un haiku doux, frais et délicat, tout ce qu’on aime!


Bonus : 5 objets japonais liés à la pluie


Pour prolonger cette ambiance, voici 5 objets traditionnels japonais étroitement liés à la saison des pluies :


1. Teru Teru Bôzu (てるてる坊主)
Une petite poupée blanche suspendue aux fenêtres pour faire venir le beau temps. Les enfants les fabriquent en papier ou en tissu, les yeux souvent non dessinés — on les ajoute seulement si le soleil revient.1


2. Kasa (傘)
Le parapluie, évidemment, mais au Japon c’est tout un art. Les wagasa (parapluies traditionnels en bambou et papier huilé) sont encore utilisés pour les festivals, tandis que les parapluies transparents modernes en vinyle sont partout.2


3. Uchiwa (団扇)
Eventail plat, rond, ovale ou carré aux bords arrondis, c’est l’accessoire incontournable de l’été japonais et des lourdes journées humides. Aujourd’hui ils sont aussi utilisé à des fins publicitaire et des versions en plastique sont distribués à la sortie des gares et stations de métro.3


4. Furin (風鈴)
Les clochettes à vent en verre, métal ou céramique. Leur doux tintement accompagne les premières brises d’été et apaise les journées pluvieuses.4


5. Geta (下駄)
Les sandales de bois japonaises, légèrement surélevées, permettent de marcher dans les flaques d’eau sans se mouiller complètement. Leur clac-clac résonne sur les chemins humides.5

  1. JEGU, p.53.
  2. PINON, p.35.
  3. VARNAM-ATKIN Stuart, Le meilleur de la culture japonaise, une vue d’ensemble illustrée, éd Sully, 2017, p.146.
  4. Ibid, p.156.
  5. Le Japon en un coup d’oeil, Kodansha Edition, 2010 , p.34.

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(c) Le Japon avec Andrea

Stages d’été 2025

Tu aimerais immortaliser ton été autrement ?
Prendre le temps d’observer, de dessiner, de te reconnecter à ton regard et à tes émotions ?
Cet été, je te propose 5 stages et 1 voyage pour explorer la pratique du carnet de voyage et l’aquarelle, dans une ambiance bienveillante, créative et joyeuse.

Carnet de voyage

programme sous réserve de modifications

Initiation à la pratique du carnet de voyage

du 30 juin au 04 juillet / 10h-12h / Espace Gaimont / 275 CHF / 5 places

Initiation en salle au carnet de voyage pour te donner les outils et la confiance nécesasire pour immortaliser tes prochains voyages.

Tu n’as jamais osé te lancer ? Viens découvrir comment un carnet peut devenir ton meilleur compagnon de voyage. Pas besoin de savoir dessiner, juste l’envie de t’exprimer.

Je m’inscris

A vol d’oiseau, carnet de voyage en plein air

du 07 au 11 juillet / 09-14h / excursions sur Genève et alentours (programme détaillé disponible prochainement) / 375 CHF / 5 places

Cinq excursions à 30 minutes de la ville pour t’inspirer les plus belles pages de carnet de voyage. Entre lac et forêt, je t’invite à observer, ressentir et finalement oser poser formes et couleurs sur le papier. Chaque jour, un nouveau lieu, une nouvelle atmosphère, pour dessiner autrement.

Si tu es de celleux qui n’osent jamais sortir leur carnet en voyage et qui finissent un peu frustré.e de ne pas s’être lancé, ce stage est idéal pour toi !

Je m’inscris

Du 07 au 09 août / séjour a la carte / Montreux / 175 CHF à 487.80 CHF* / 6 places

Un séjour à options pour vivre pleinement l’expérience du carnet de voyage tout en respectant ton énergie et ton budget. Rejoins-moi pour (re)découvrir les paysages suisses autrement !

Programme a choix :

☀️ 07/08 aller en bateau Genève-Montreux. Retour à Genève en train ou 1 nuit à Montreux (à choix).

☀️ 08/07 train crémaillère pour le Rocher de Naye, jardin alpin et vue incroyable. Retour à Genève en train ou 2e nuit à Montreux (à choix).

☀️ 09/08 Riviera de Montreux et retour à Genève en train.

*Le tarif comprend les ateliers carnet de voyage (120 CHF/jour), le billet aller CGN (1/2 tarif 28 CHF ou plein tarif 55 CHF) et le billet aller-retour en train à crémaillère pour les Rochers-de-Naye (excursion 2 et 3 jours, 36,40/72,80 CHF). En fonction des options choisies, chaque participant est responsable de son billet retour en train (16/32 CHF), de ses repas ainsi que de l’hébergement.

Pour bénéficier du prix avec demi tarif, entre le code cité ci-dessous avant de valider ton panier.

Excursion 1 journée : inscription ici

  • plein tarif 175 CHF
  • demi-tarif 148 CHF

code pour le prix réduit: CFF1

Excursion 2 jours : inscription ici

  • plein tarif 367.80 CHF
  • demi-tarif 304.40 CHF
  • code pour le prix réduit: CFF2

Excursion 3 jours : inscription ici

  • plein tarif 487,80 CHF
  • demi-tarif 424,40 CHF
  • Code pour le prix réduit: CFF3

Je découvre les options et je m’inscris

Aquarelle

programme sous réserve de modifications

Scènes urbaines

du 30 juin au 04 juillet / 18h-20h / Espace Gaimont / 325 CHF / 5 places

Viens apprendre à inclure mur, porte, fenêtre et bâtiment dans tes paysages à l’aquarelle. Cinq ateliers pour apprendre à peindre des paysages avec perspective intuitive, des buissons et des arbres avec de la profondeur, des pierres chaudes et froides pour plus de réalisme et d’émotions dans tes aquarelles.

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Maitriser les couleurs, du nuancier au paysage

du 11 au 15 août / 10h-12h / Espace Gaimont / 325 CHF / 5 places

Viens explorer couleurs et nuanciers pour peindre tes plus beaux paysages tout en exerçant les principes de l’aquarelle (mouillé sur mouillé, mouillé sur sec, lavis, mélanges de couleurs, etc.). Des couleurs chaudes aux couleurs froides, en passant par les couleurs neutres, tu ne verras plus jamais l’aquarelle de la même manière.

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Paysages d’été

du 11 au 15 août / 18h-20h / Espace Gaimont / 325 CHF / 5 places

Viens apprendre à peindre plages, villages ensoleillé ou prairies de montagne et explorer toutes les facette de l’aquarelle. Que ce soit pour immortaliser tes souvenirs d’été ou entraîner ta main pour un prochain carnet de voyage, ce stage va t’aider poser couleurs et émotions.

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Ce qui t’attend :

  • Des conseils adaptés à ton niveau
  • Des démonstrations et des exercices guidés
  • De la liberté pour expérimenter
  • Des partages inspirants
  • Un cadre propice à la création, en intérieur ou en pleine nature
  • De beaux paysages à deux pas de chez toi

Infos pratiques :

  • Matériel non fourni (une liste est envoyée après inscription)
  • Les trajets en transports publics et les piques-niques ne sont pas compris dans le prix (semaine du 07 au 11 juillet)
  • Tous niveaux bienvenus
  • Places limitées pour garantir un accompagnement personnalisé
  • Réduction de 10% à l’achat de 2 stages avec le code : ETE10
    • valable uniquement sur les stages d’été
    • le séjour en août n’est pas inclus dans cette offre

Prêt·e à embarquer ?

Réserve ta place maintenant et prépare ton plus bel été créatif.

Le printemps s’en va : entre haiku et nihonga avec Kawai Gyokudō

Émotion et impermanence dans Yuku Haru-zu de Kawai Gyokudō

Kawai Gyokudō et la tradition du nihonga

Kawai Gyokudō (川合玉堂, 1873-1957) est un peintre majeur du mouvement nihonga (日本画), littéralement “peinture japonaise”, un style de peinture qui émerge à l’époque Meiji par opposition au style de peinture à l’huile occidentale, alors en vogue1. Spécialisé dans les paysages, il a su capter avec une rare sensibilité les variations des saisons et l’esprit des lieux naturels.

Sa maîtrise du lavis et de la couleur diluée lui permet de restituer l’essence des paysages avec une subtilité qui évoque souvent l’aquarelle.2 Son travail repose sur l’utilisation des pigments minéraux broyés (iwa-enogu, 岩絵具), appliqués sur du papier washi ou de la soie3, avec des nuances feutrées qui transmettent une impression de profondeur et de douceur.

Dans cet article, nous allons découvrir une de ses œuvres majeure : Yuku Haru-zu (行く春図) en écho aux haiku traditionnels de fin de printemps.

  1. https://www.yamatane-museum.jp/english/nihonga/#:~:text=Nihonga,%20a%20general%20term%20for,from%20Western-style%20oil%20painting. [consulté le 26 avril 2025]
  2. https://www.britannica.com/biography/Kawai-Gyokudo [consulté le 26 avril 2025]
  3. https://www.yamatane-museum.jp/english/nihonga/#:~:text=Nihonga,%20a%20general%20term%20for,from%20Western-style%20oil%20painting. [consulté le 26 avril 2025]
Kawai Gyokudō , Le printemps s’en va (panneau gauche), 1916, National Museum of Modern Art, Tokyo

Le regard de Gyokudō dans le contexte de son époque

À l’époque de Kawai Gyokudō, la peinture japonaise traversait une période de profondes mutations. L’ère Meiji (明治時代 1868-1912) avait ouvert le Japon aux influences occidentales, provoquant une remise en question des formes artistiques traditionnelles1. Gyokudō, formé auprès de masters comme Hashimoto Gahō (橋本雅邦, 1835–1908) — l’un des piliers du renouveau du style Nihonga —, s’inscrit dans ce mouvement de préservation et d’évolution de l’esthétique classique. Très tôt reconnu, il expose régulièrement aux expositions gouvernementales (Bunten, 文展), où il reçoit plusieurs distinctions, dont le prestigieux titre de membre de l’Académie impériale des arts (Teikoku Bijutsuin, 帝国美術院)2. Ses paysages, souvent empreints d’une profonde poésie naturelle, s’opposent aux tendances plus modernistes de contemporains comme Yokoyama Taikan (横山大観, 1868–1958), préférant au spectaculaire une attention silencieuse aux rythmes des saisons et à l’émotion du passage du temps. Sa peinture, tout en restant fidèle aux matériaux traditionnels, incarne une sensibilité nouvelle : un Japon entre mémoire ancestrale et mélancolie moderne.

  1. Waves of renewal, modern Japanese prints 1900 to 1960, catalogue d’exposition, Hotei Publishing, Leiden, 2016, p.11.
  2. https://www.tobunken.go.jp/materials/bukko/8857.html [consulté le 26 avril 2025]

Le kigo Yuku Haru (行く春) et sa symbolique dans l’univers du haiku

Dans la poésie japonaise, yuku haru (行く春, “le printemps qui s’en va”) est un kigo (mot de saison) propre au printemps. Il exprime la transition entre la douce floraison et l’approche inéluctable de l’été1. Contrairement à l’exaltation des cerisiers en fleurs (sakura), yuku haru traduit un sentiment plus mélancolique, une prise de conscience de l’impermanence (mujō, 無常), concept central dans la culture japonaise et le bouddhisme zen. Plus que simplement le printemps, c’est aussi la nostalgie de la jeunesse qui s’en va qui est ainsi évoquée.2

Dans l’univers du haïku, ce kigo est souvent associé à la nostalgie et à l’éphémère, comme dans ce célèbre haïku de Yosa Buson (1715-1783) :

kinofu kure / kefu mata kurete / yuku haru ya

hier s’est terminé

aujourd’hui se termine

le printemps s’en va3

  1. Ima hajimeru hito no tameno Haiku saijiki shinban (L’almanach du haiku pour débutants, nouvel édition), KADOKAWA corporation, Tôkyô, 2023, p.22.
  2. http://www.osk.3web.ne.jp/logos/saijiki/saijikifp.html [consulté le 26 avril 2025]
  3. COLLET Hervé et CHENG Wing fun, “Ah! le printemps, le printemps, ah! ah le printemps”, éd Moundarren, 1991, p.146.
Kawai Gyokudō , Le printemps s’en va (panneau droit), 1916, National Museum of Modern Art, Tokyo

Analyse technique de Yuku Haru-zu (行く春図)

Réalisée en 1916, Yuku Haru-zu est une œuvre monumentale de Kawai Gyokudō, mesurant 183,0 × 390,0 cm, et conservée au Musée national d’art moderne de Tokyo. Cette peinture, exécutée selon les techniques du nihonga (日本画), combine pigments minéraux broyés (iwa-enogu, 岩絵具) et encre sur soie, offrant une palette délicate de teintes pastel. Gyokudō y déploie une maîtrise exceptionnelle des lavis pour représenter les reflets de l’eau et la transparence de l’air printanier. L’artiste a accordé une attention particulière à la représentation du mouvement de l’eau, s’inspirant de ses croquis réalisés lors d’un voyage à Nagatoro dans la région de Chichibu, où il a observé le courant de la rivière et les cerisiers en fleurs1. ​

    Dans le premier panneau, la scène s’ouvre sur une rivière paisible, où des bateaux glissent doucement sur l’eau, évoquant une atmosphère de sérénité. Les rives sont bordées de cerisiers en fleurs, dont les pétales tombent délicatement, portés par la brise printanière. Cette représentation symbolise la beauté éphémère du printemps et le passage du temps.​

    Le second panneau poursuit cette ambiance contemplative, mettant en scène des embarcations naviguant sur la rivière, accompagnées de personnages qui semblent absorbés dans leurs pensées. L’ensemble de l’œuvre capture le moment fugace où le printemps cède la place à l’été, incarnant à merveille le concept japonais de yuku haru (行く春), “le printemps qui s’en va”.​

    1. https://www.masterpiece-of-japanese-culture.com/paintings/parting-spring-by-kawai-gyokudo?utm_source=chatgpt.com [consulté le 26 avril 2025]

    L’ensemble de l’œuvre nous invite à la contemplation et à l’acceptation du cycle des saisons. Gyokudō ne cherche pas à figer la beauté printanière, mais plutôt à en transmettre la poésie fugace. L’artiste nous invite à une méditation sur l’impermanence de la nature et la beauté des instants transitoires, en harmonie avec les principes esthétiques du nihonga et la sensibilité japonaise aux saisons.

    yuku haru ya / shunjun toshite / hosozakura

    le printemps qui s’en va

    s’attarde dans les derniers

    cerisiers en fleurs1

    1. Poème de Yosa Buson, tiré de COLLET Hervé et CHENG Wing fun, “Ah! le printemps, le printemps, ah! ah le printemps”, éd Moundarren, 1991, p.148.

    Avec Yuku Haru-zu, Kawai Gyokudō capture l’essence même de l’éphémère. Cette œuvre résonne avec la sensibilité japonaise face au passage du temps, une sensibilité que l’on retrouve aussi dans l’art du haïku. En contemplant ces panneaux, nous devenons nous aussi spectateurs du printemps qui s’en va, conscients que chaque instant de beauté est appelé à disparaître pour mieux renaître.

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    (C) Le Japon avec Andrea