Le renouveau au Japon : pluie, rituels et objets saisonniers

Tsuyu, la saison des pluies

Au Japon, le mois de juin marque l’arrivée du tsuyu (梅雨), littéralement “la pluie des prunes”. A l’origine, ce kigo évoque la pluie qui tombent sur les prunes déjà mûres1, tout comme “le vent bleu du sud” (青風) évoque le vent qui passe dans les jeunes feuilles (bleues) du début d’été. Tsuyu c’est surtout des pluies intenses venues du sud et qui remontent tout le Japon pendant le mois de juin. C’est une saison particulière, enveloppée de brume, de silence mouillé et de reflets changeants. Cette période, qui dure environ un mois et demi, est frappée d’épisodes pluvieux aléatoires, voire de véritables déluges.2 Cette saison, souvent redoutée pour son humidité, est aussi synonyme de renouveau.

La pluie, loin d’être seulement un désagrément, est porteuse de sens : elle nourrit la terre, prépare les rizières, et lave symboliquement les impuretés des six premiers mois de l’année.3 Dans la tradition japonaise, cette transition humide est un moment d’équilibre entre purification, introspection et préparation de l’été

  1. Ima hajimeru hito tame no haiku saijiki, Kadokawa edition, 2022, p.130.
  2. PINON Matthieu, Une année japonaise, immersion dans le quotidien japonais au fil des douze mois de l’année, Ynnis Edition, 2017, p.35.
  3. Ibid, p.42.

Les fleurs de saison : les ajisai

Parmi les symboles les plus emblématiques de cette saison : les ajisai 紫陽花 (hortensias). Ces fleurs aux couleurs changeantes selon l’acidité du sol sont très aimées au Japon, Appréciant l’humidité, cette plante d’Extrême-Orient peut-être bleue (sol acide) à rose (sol alcalin), mais peut passer par toutes les nuances de mauves et de violets.1 Leur floraison coïncide avec les premières grandes pluies, offrant un spectacle à la fois mélancolique et profondément apaisant.2

  1. JEGU Zoé, Japon, l’Archipel aux 72 saisons, éd. Sully, 2023, p.53.
  2. Ima hajimeru hito tame no haiku saijiki, Kadokawa edition, 2022, p.208.

Le rituel de purification de mi-année : Nagoshi no Harae

Chaque 30 juin, les Japonais célèbrent le Nagoshi no Harae (夏越の祓え), un rite ancestral de purification. À cette occasion, de grands cercles de miscanthus ou roseaux de Chine (chinowa) sont installés à la verticale devant les sanctuaires shintô. Le rituel veut qu’on les traverse trois fois avant de réciter une prière pour chasser les impuretés accumulées durant la première moitié de l’année.1
C’est un moment de recentrage personnel mais aussi spirituel, où l’on exprime le désir de commencer l’été avec un esprit purifié. Il est aussi courant de remplir un petit talisman de papier représentant une silhouette humaine (hitogata), sur lequel on souffle ses impuretés avant de le jeter à la rivière ou au feu.2

  1. JEGU, p.67.
  2. Idem.


Un temps propice au repli

Le tsuyu est aussi une saison d’intimité : on ralentit, on reste chez soi, on savoure une tasse de thé en écoutant les gouttes d’eau tomber contre les tuiles. Ce climat doux favorise les activités contemplatives comme la calligraphie, la lecture ou l’écriture de haikus — souvent consacrés à la pluie, aux grenouilles, ou à l’éclosion de la nature estivale.


aogaeru onoremo penki nuritate ka *

青蛙おのれもペンキぬりたてか

elle aussi,

serait-elle fraîchement peinte

la grenouille bleue

Ryûnosuke Akutagawa

*Tiré de Schôgakusei no manga haiku jiten, éd. Gakken, p.105, traduction (C) Le Japon avec Andrea.

Explications

Ici le kigo, ou mot de saison, d’été est “grenouille bleue” (青蛙). C’est une sorte de rainette très répandue au Japon. On l’appelle aussi “grenouille de pluie” car on la voit souvent juste avant la pluie, comme si elle l’annonçait. C’est un kigo évocateur et poétique.

Si le kigo “grenouille” kaeru (蛙 ) est signe du printemps, “grenouille bleue” est associé à l’été et à la saison des pluies.

Ce haiku fait référence à l’aspect brillant que prend la peau de la grenouille sous la pluie, comme si elle avait été peinte. Ici la pluie n’est donc que suggérée et rend le jeu de perception des éléments encore plus délicat.

Un haiku doux, frais et délicat, tout ce qu’on aime!


Bonus : 5 objets japonais liés à la pluie


Pour prolonger cette ambiance, voici 5 objets traditionnels japonais étroitement liés à la saison des pluies :


1. Teru Teru Bôzu (てるてる坊主)
Une petite poupée blanche suspendue aux fenêtres pour faire venir le beau temps. Les enfants les fabriquent en papier ou en tissu, les yeux souvent non dessinés — on les ajoute seulement si le soleil revient.1


2. Kasa (傘)
Le parapluie, évidemment, mais au Japon c’est tout un art. Les wagasa (parapluies traditionnels en bambou et papier huilé) sont encore utilisés pour les festivals, tandis que les parapluies transparents modernes en vinyle sont partout.2


3. Uchiwa (団扇)
Eventail plat, rond, ovale ou carré aux bords arrondis, c’est l’accessoire incontournable de l’été japonais et des lourdes journées humides. Aujourd’hui ils sont aussi utilisé à des fins publicitaire et des versions en plastique sont distribués à la sortie des gares et stations de métro.3


4. Furin (風鈴)
Les clochettes à vent en verre, métal ou céramique. Leur doux tintement accompagne les premières brises d’été et apaise les journées pluvieuses.4


5. Geta (下駄)
Les sandales de bois japonaises, légèrement surélevées, permettent de marcher dans les flaques d’eau sans se mouiller complètement. Leur clac-clac résonne sur les chemins humides.5

  1. JEGU, p.53.
  2. PINON, p.35.
  3. VARNAM-ATKIN Stuart, Le meilleur de la culture japonaise, une vue d’ensemble illustrée, éd Sully, 2017, p.146.
  4. Ibid, p.156.
  5. Le Japon en un coup d’oeil, Kodansha Edition, 2010 , p.34.

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(c) Le Japon avec Andrea