Ohara Koson – Le silence vivant de la nature

Un artiste discret au cœur d’un renouveau


Né en 1877 à Kanazawa, Ohara Koson (小原 古邨) est une figure singulière de l’estampe japonaise du début du XXe siècle. Il traverse une époque de bouleversements, où l’art japonais oscille entre traditions millénaires et influences occidentales croissantes. Formé d’abord à la peinture de style nihonga (peinture traditionnelle japonaise), Koson se spécialise ensuite dans un genre à la fois ancien et en pleine mutation : les kachō-e, ou “images d’oiseaux et de fleurs”.

Son nom véritable était Ohara Matao. Il prendra d’abord le nom d’artiste Shōson (昇邨), puis Koson, notamment lorsqu’il commence à produire des estampes destinées à l’exportation.
Contrairement à d’autres artistes de la même époque, il ne cherche pas à peindre les foules, les villes modernes ou les femmes sophistiquées de Tokyo. Il préfère capter le souffle du vivant, dans des scènes naturelles à première vue simples, mais d’une grande finesse d’observation. Libellule sur une feuille de lotus, papillon en vol, moineau dans la neige… tout est dans la pureté de l’instant.

Ohara Koson, “Mouettes au-dessus des vagues”, estampe Shin-hanga, vers 1915.

Le contexte : entre tradition et renouveau

Ohara Koson émerge dans un Japon qui a connu l’ouverture forcée à l’Occident (ère Meiji, 1868–1912) et une rapide modernisation. Cette transition entraîne le déclin de l’estampe traditionnelle ukiyo-e, concurrencée par la photographie et la presse illustrée. Mais au début du XXe siècle, un renouveau s’amorce avec le mouvement shin-hanga (新版画), ou « nouvelle estampe ».
Le shin-hanga combine les méthodes artisanales japonaises (dessin, gravure sur bois, impression manuelle), avec une sensibilité picturale moderne : lumière, atmosphère, expressivité.

Dans ce mouvement, Koson joue un rôle particulier : il ne se consacre ni aux paysages (fūkei-ga), ni aux portraits féminins, mais presque exclusivement au genre kachō-e. Il renouvelle avec élégance cette tradition ancienne, proche de l’esthétique du haiku, qui célèbre la nature dans son dépouillement.

Ohara Koson, “Deux carpes koi”, estampe Shin-hanga, vers 1910.

Le mouvement shin-hanga

Le terme shin-hanga (新版画) signifie littéralement « nouvelle gravure ». Ce courant artistique est né au Japon au début du XXe siècle, autour des années 1910, en réponse au déclin de l’estampe traditionnelle ukiyo-e. Il s’agit d’un renouveau artistique qui cherche à préserver l’art de l’estampe sur bois tout en l’adaptant aux goûts modernes — notamment à ceux des collectionneurs occidentaux.
Le shin-hanga garde la méthode artisanale de production en collaboration entre l’artiste, le graveur, l’imprimeur et l’éditeur (comme chez les ukiyo-e), mais s’ouvre à :

  • des effets de lumière inspirés de la peinture occidentale (ombres, reflets, couchers de soleil),
  • une approche plus naturaliste dans les visages, les paysages ou les animaux,
  • une ambiance plus émotionnelle et poétique.


Ohara Koson s’est inscrit dans ce mouvement, même s’il s’est spécialisé presque exclusivement dans un genre très particulier…

Ohara Koson, “Chat et bol au poisson rouge”, estampe Shin-hanga, 1931.


Le genre kachō-e

Le mot kachō-e (花鳥絵) signifie « images de fleurs et d’oiseaux » (花 ka = fleur, 鳥 chō = oiseau, 絵 e = image). C’est un sous-genre de l’estampe japonaise qui remonte à bien avant Koson, mais auquel il a donné une nouvelle élégance, dans l’esprit shin-hanga.
Contrairement à l’ukiyo-e classique, centré sur les portraits de geishas ou d’acteurs de kabuki, les kachō-e célèbrent la nature dans ses détails les plus délicats :

  • oiseaux en vol ou posés,
  • fleurs de saison,
  • petits insectes,
  • scènes de pluie, de neige ou de vent.


Ce n’est pas une peinture purement décorative : chaque image porte une ambiance saisonnière, parfois même une charge symbolique ou poétique.
On pourrait dire que le kachō-e, c’est la version visuelle d’un haiku : concentré, évocateur, plein de silence et de suggestion.

Ohara Koson, “Lys et papillons”, estampe Shin.hanga, vers 1912.

Style et influences

Ohara Koson est formé par Shibata Zeshin, maître de la peinture décorative et du réalisme raffiné. Il s’inspire également des peintres de l’école Maruyama-Shijō, qui prônent une observation attentive du vivant et une certaine souplesse dans le trait.
Mais ce qui fait la force de Koson, c’est :

  • sa sobriété : des arrière-plans souvent neutres, pour mieux faire vibrer le sujet,
  • son utilisation subtile de la couleur, jamais criarde, souvent fondue,
  • son attention au détail, qu’il s’agisse d’une plume, d’une aile d’insecte ou d’une vibration dans l’eau,
  • son art du silence : ses images respirent. Elles laissent de l’espace, du blanc, du vide. Ce vide n’est pas un manque, mais un appel à la contemplation.
Ohara Koson, “Libellule et lotus”, estampe Shin-hanga, vers 1930.

Trois visions de l’été par Koson

1. Lotus et libellule
Dans cette estampe minimaliste, une libellule repose sur une feuille de lotus. Le fond est clair, presque vide. La tige ondule légèrement, et la libellule semble suspendue dans le temps.
Le lotus (symbole de pureté née de la boue) et la libellule (symbole de fugacité et d’agilité) condensent ensemble l’essence de l’été : un moment suspendu, fragile, intense.

Cette œuvre incarne la beauté silencieuse si caractéristique de Koson.

Ohara Koson, “Glycine et abeille”, estampe Shin-hanga, vers 1930.


2. Glycine et abeille
La glycine tombe en grappes légères, dans un mouvement presque musical. Une abeille s’en approche, ou vient d’en partir : l’instant est figé entre deux battements d’ailes.
La glycine (fuji) est une fleur de fin de printemps qui annonce l’été. L’abeille, infatigable travailleuse, incarne la vitalité de la saison chaude.
Ici, le dynamisme discret et la composition en diagonale renforcent l’impression de mouvement. L’image est simple, mais vibrante. Elle incite à la contemplation.

Ohara Koson, “Saumons sautant”, estampe Shin-hanga, vers 1930.


3. Saumon sautant
Un saumon jaillit hors de l’eau dans un arc élégant. Le fond est bleu-gris, la surface de l’eau striée de traits légers. L’œil du poisson est vif, son corps tendu vers le haut.
Ce saut symbolise à la fois la force de la nature, le cycle de la vie, et l’instant décisif. Simple, presque anodin et pourtant vital.

Koson nous offre ici une image de puissance silencieuse, sans bruit, sans éclat — juste l’essentiel : le mouvement pur.

Ohara Koson, “Gobe-mouche sur un plant de concombre”, estampe Shin-hanga, vers 1910.

Héritage d’un maître du fragile

Ohara Koson meurt en 1945, peu après la fin de la guerre. Son nom reste peu connu au Japon, mais ses œuvres rencontrent un grand succès en Occident, notamment aux États-Unis, où elles sont collectionnées dès les années 1910.
Aujourd’hui, on redécouvre son génie discret (une série d’exposition commémorant les 80 ans de la mort de l’artiste, notamment au musée Ota à Tokyo) : celui d’un artiste qui a su capter l’intensité d’un instant éphémère, sans jamais forcer le trait, en laissant toujours place au silence. Ses estampes nous rappellent que dans un monde bruyant et agité, il est bon de regarder une libellule, une fleur ou un poisson, simplement… et longtemps

Sources

(c) Le Japon avec Andrea