La roue des kigo d’été

Bon, ok , c’est toujours pas une roue, mais l’essentiel est là!

Tu es en panne d’inspiration?

Tu n’arrives pas à choisir un kigo ?

Tu veux un peu de fun dans ta vie ?

Bam, voilà une petite joie à ajouter à ta liste aujourd’hui!

Mode d’emploi

Fais une capture d’écran (ou une photo avec ton téléphone si tu ne sais pas ce qu’est une capture d’écran…) de ma petite animation ci-dessous pour découvrir le kigo à utiliser aujourd’hui !

L’idée te plait?

Découvre ma boite à outils spécial écriture de haiku!

Le principe?

Des jeux, des défis, des explications et des exercices concrets pour réellement comprendre et intégrer les notions recherchées dans tout bon haiku qui se respecte (dixit Bashô) :

  • des kigo efficaces
  • les mots de césures
  • la recherche de la simplicité
  • la maîtrise de la suggestion (au détriment de la description)
  • la légèreté
  • l’humour
  • la confrontation de l’immuable et de l’éphémère
  • etc.

Une fois que tu t’es procuré la boite à outils, tu y auras accès indéfiniment ainsi qu’à toutes les mises à jours (et nouveautés).

Infos et inscription ici !

Le livre du mois- juillet 2023

Le Rêve de Ryûsuke

Durian Sukegawa

Quel âge avait-il à l’époque? Quand sa mère lui avait montré une photo de l’île où s’était installé, seul, ce Sôichi Hashida dont elle lui parlait tant. Elle lui avait expliqué qu’il allait consacré sa vie à confectionner du fromage sur cette terre perdue au milieu de l’océan.

Même aux oreilles de l’enfant qu’était Ryôsuke, la voix de sa mère avait pris une intonation particulière.

Ce à quoi avait échoué son époux, cet ami intime s’y réessayait, loin d’ici. Lorsqu’elle l’avait expliqué à son fils, c’était la femme en elle qui parlait.

Sôichi, il garde toujours espoir.*

Un récit tout en délicatesse abordant des sujets forts comme le mal-être, la difficulté de trouver sa place dans une société où la quête du succès l’emporte sur tout le reste et les sacrifices qui jonchent le chemin menant à la réalisation de nos rêves. La description des paysages insulaires changeants et les caractères attachants des protagonistes font de ce livre un incontournable de mes lectures d’été.

Au plaisir de lire tes commentaires!

…………………………………………………………………………

*SUKEGAWA Durian, Le Rêve de Ryôsuke, éd. Le livre de poche, 2018, p.95.

Tanabata ou la fête des étoiles amoureuses

Chaque année, le 7 juillet, les Japonais fêtent Tanabata 七夕, une des cinq fêtes saisonnières importées de Chine (sekku 節句).

Si c’est l’occasion d’écrire ses vœux sur des bandelettes en papier (tanzaku 短冊) qu’on accrochera ensuite à une branche de bambou, c’est aussi l’occasion de regarder les étoiles!

En effet, la légende de Véga et Altaïr est indissociable de cette fête estivale. Parvenue au Japon probablement dès l’époque Heian (794-1185), cette légende venue de Chine est largement popularisée durant l’époque Edo (1603-1868).

De nombreuses étoiles se disent “double” ou “en couple” car elle partagent un même axe de gravité. Ces étoiles ont de tous temps stimulé l’imagination des conteurs et il existe de nombreuses variantes sur le légende des étoiles amoureuses dont voici la trame :

La légende de Tanabata (“la septième nuit”) met en avant l’histoire d’amour entre une déesse tisserande Orihime (Véga) et un bouvier humain Hikoboshi (Altaïr).

Pour lui, celle qui tisse “les habits de nuages” quitte le monde céleste, l’épouse et lui donne deux enfants. La mère de la déesse (ou le père selon les versions) la retrouve et la fait revenir dans le monde des dieux. Pour empêcher le bouvier bien décidé à retrouver sa femme d’arriver au royaume céleste, les dieux séparent les deux mondes par une rivière infranchissable, la Voie lactée.

Devant les pleurs incessant de la déesse d’un côté, du bouvier et de ses enfants de l’autre, les dieux leur accordent de se retrouver une fois par an, la septième nuit du septième mois.

Dès lors, chaque année, les Japonais fêtent ces retrouvailles amoureuses et accrochent leur vœux d’amour et de bonheur à des branches de bambou, symbole de bon augure et , selon la croyance populaire chinoise, capable de refouler les esprits malveillants responsables des séparations conjugales.

Alors, est-ce que tu vas fêter Tanabata cette année?!

Yoshitoshi, La Lune et la Voie lactée, in “Cent aspects de la Lune”, estampe ukiyo-e, avant 1892.

Image d’en-tête : Ando Hitoshige, La ville florissante, festival de Tanabata, in “Cent vues d’Edo”, estampe ukiyo-e, 1857, détail.

Utamaro et ses “insectes choisis”, ou comment les insectes peuplent les images à l’époque Edo (3/3)

Si Utamaro (vers 1753-1806)est principalement connu pour ces estampes de courtisanes (美人絵, bijin-e), ici j’ai choisi de te présenter une planche de son album “Insectes choisis” (絵本虫選, Ehon mushi erami) publié en 1788. Album appartenant à une trilogie un peu à part dans l’œuvre d’Utamaro, mettant à l’honneur les insectes, les coquillages et les oiseaux.1

Cet album est composé de planches représentant une plante ou autres végétaux et une ou plusieurs variétés d’insectes. C’est un bel exemple de gravure dans un style réaliste et détaillé, réalisées d’après une observation minutieuse de la nature et non plus d’après les modèles iconographiques classiques.2

L’ensemble est complété pour une série de poèmes parodique dits kyôka (狂歌) « chant sans rime ni raison » ou « poésie folle ». Présentant les mêmes caractéristiques formelles que le poème classique tanka (短歌), il est composé de 31 syllabes (5-7-5/7-7). Sa particularité réside principalement dans le choix des mots et le langage vulgaire utilisé.3 Son caractère collectif (l’écriture de kyôka se fait généralement lors de réunion de poètes où chacun compose une partie de l’ensemble) ainsi que son ton burlesque le rapproche d’ailleurs du haikai (ancêtre de la forme du haiku).4

Ce modèle d’association de poèmes et d’illustrations est hérité des concours littéraires thématiques organisés au sein de cercles d’amateurs. Dans cet album en particulier, chaque poème fait référence de façon subtile et raffinée à l’insecte représenté par Utamaro, représentant un défi de taille.5

  1. MARQUET, p.21.
  2. Ibid, p.22.
  3. Ibid, p. 30.
  4. ORIGAS, p. 161.
  5. MARQUET, p. 31.
Utagawa Utamaro, Libellule (Kagerō ou Tonbo), in “Ehon mushi”, 1788.

Un exemple concret : Libellule et papillons

Voici le poème proposé par Marena Toshinari à propos du papillon :

Chô –

yume no ma wa

chô tomo keshite

suite mimu

koishiki hito no

hana no kuchibiku

– le papillon –

le temps d’un rêve

se muer en papillon

pour butiner

comme une fleur les lèvres

de celle dont je languis1

Ici, la délicatesse du dessin et la douceur des tons sont sublimées par ces quelques mots badins, ou est-ce l’inverse ? Ne seraient-ce pas ces mots qui par cette subtile association visuelle gagnent en profondeur? Peu importe, le résultat est prenant et on ne s’étonnera pas que ce livre d’images reste un des plus bel exemple du talent de Utamaro.

Si on revient à nos amis les insectes, on remarque que sur cette planche, ils sont clairement mis en valeur par un jeu de composition et d’agencement entre texte calligraphié et éléments naturels. Contrairement à l’exemple tiré du “Précis de peinture du Jardin du grain de moutardedans l’article précédent, ici l’insecte ne sublime pas la fleur : il est bel et bien le thème principal !

On a donc un clair changement de perception de la nature et de ses habitants ainsi que dans le façon de les reproduire, passant d’accessoire à significatif. Le large développement des études zoologiques et des techniques scientifiques n’y est pas étranger et les artistes deviennent des vecteurs importants de transmission de ce changement de point de vue au sein d’un public de plus en plus nombreux.

  1. MARQUET, p. 95.

Utamaro (vers 1753-1806) s’est formé auprès de Toriyma Sekien (鳥山石燕), peintre de l’école Kanô (kanô-ha 狩野派). Il adopte son nom Utamaro (歌麿) vers 1781 alors qu’il se met à peindre des images de “belles femmes” (美人絵, bijin-e), après s’être exercé à la peinture d’acteurs de kabuki. Son œuvre (plus de 2600 estampes) est très riche et versatile et nous propose également des portraits en buste ou en pied et des recueils à portée zoologique.1

Bibliographie

  • MARQUET Christophe (textes et poèmes traduits et présentés par), Kitagawa Utamaro, insectes choisis – Myriades d’oiseaux, éditions Philippe Picquier, Arles, 2012.
  • ORIGAS Jean-Jacques, Dictionnaire de littérature japonaise, Puf, Paris, 2000.

(C) Le Japon avec Andrea.

Un nouveau point de vue, ou comment les insectes peuplent les images à l’époque Edo (2/3)

Si dans le dernier article, je me suis concentrée sur le motif du papillon et de la pivoine, aujourd’hui j’ai envie de te partager l’influence primordiale que l’Occident et surtout ses outils optiques ont eue sur la représentation des insectes dans l’art japonais.

Les insectes comme genre artistique

Hérités de la peinture chinoise, les différents genres en peinture japonaise sont divisés selon les thèmes représentés: les peintures “de fleurs et d’oiseaux” (花鳥絵, kachô-e), les peintures de paysages ou “de montagne et d’eau” (山水画, sansui-e), les peintures “de fleurs et d’arbres” (花木絵, hanaki-e) ou encore, celle qui nous intéresse, les peintures “d’herbes et d’insectes” (葉虫絵, hamushi-e).

La source principale d’inspiration de motifs pour cette catégorie reste, jusqu’au développement des “études hollandaises” que nous aborderons plus loin, le fameux “Précis de peinture du Jardin du grain de moutarde“. Rédigé comme un manuel à l’usage des peintres, il s’agit d’une véritable encyclopédie de peinture chinoise, écrite au début de la dynastie Qing (1644-1912). On y trouve un répertoire de motifs, de techniques de dessin et d’applications des couleurs d’une aide précieuse non seulement si l’on souhaite s’initier à l’art chinois, mais aussi si l’on veut comprendre l’essence des œuvres anciennes.


“Pavot, à l’imitation d’une peinture de Ts’ien Chouen-kiu”
in “Les Enseignements de la Peinture du Jardin grand comme un Grain de Moutarde”
Source : http://classiques.uqac.ca/classiques/chine_ancienne/B_autres_classiques/KIAI_TSEU_YUAN_HOUA_TCHOUAN/KIAI_TSEU_YUAN_illustrations_3.html [consulté le 13.04.2023]

Dans ce genre artistique, ne nous méprenons pas, les insectes servaient surtout de décoration, d’éléments annexes pour “varier la peinture des fleurs”. Dans l’exemple ci-dessus, si le papillon attire notre regard, ce n’est pas le sujet principal de l’œuvre. Il sert à divertir l’œil et éviter la monotonie de scènes inertes et figées par la succession de copies au fil des siècles.


“Premier exemple d’insectes de plantes herbacées à
dessiner pour varier [la peinture des fleurs]. Papillons”
in “Les Enseignements de la Peinture du Jardin grand comme un Grain de Moutarde”
Source : http://classiques.uqac.ca/classiques/chine_ancienne/B_autres_classiques/KIAI_TSEU_YUAN_HOUA_TCHOUAN/petrucci_moutarde.pdf [consulté le 13.04.2023]

Plus qu’une observation scientifique des insectes, il s’agit plutôt d’une représentation essentialiste, presque symbolique. Ces insectes ont donc souvent la même forme et sont représentés selon le même angle par de nombreux artistes différents. Il n’y a pas une réelle compréhension ou recherche de l’anatomie d’un point de vue scientifique, mais plutôt comme une appréciation générale de la forme de l’insecte, dans le respect du canon de représentation hérité de la peinture chinoise.

Les peintres japonais vont vraiment s’attacher à représenter au plus près cette esthétique chinoise et cet idéal de représentation philosophique et harmonieuse de la nature.

Cette approche des insectes et de leur représentation connaît un franc succès auprès d’amateurs éclairés qui aiment se perdre dans l’observation, la collection mais aussi reproduction d’une variété incroyable d’insectes.1 Ces images ont souvent été regroupées dans des annales ou encyclopédies illustrées à caractère plus ou moins “scientifique” et qui vont servir de base pour la composition de travaux artistiques. Les encyclopédies ou les annales illustrées les plus connues encore aujourd’hui ont été dessinées et compilées par des daimyô (seigneurs guerriers de haut rang).

  1. TSUKAMOTO, p. 278.

Des daimyô amoureux de la nature

Traditionnellement l’observation et le recensement des espèces d’insectes étaient le travail de spécialistes des affaires médicales chinoises au sein du gouvernement japonais. On recensait donc les insectes plus pour leurs vertus curatives et pour leur utilisation dans le quotidien que pour leur vraie beauté intrinsèque. Cette pratique a un lien étroit avec le modèle de la médecine chinoise, mais petit à petit les seigneurs y prennent goût et l’observation et la collecte d’insecte vont devenir une réelle occupation de loisir.1 Rappelons également qu’à l’époque Edo le rôle des guerriers évolue. Les guerres de clans n’étant plus qu’un lointain souvenir, les guerriers trouvent de nouvelles occupations dans l’enseignement, la poésie, les arts, etc.

Pourquoi les daimyô? On offrait traditionnellement des insectes à la maison du shogun (chef des armées, dirigeant militaire officiel du Japon à l’époque Edo) pour nourrir les faucons. Le faucon est l’emblème par excellence de la figure guerrière et offrir de quoi nourrir ces rapaces était un devoir important. Dès 1770 le ramassage d’insectes s’intensifie donc et on commence à recenser de nombreuses espèces jusque là peu étudiées.

Le daimyô le plus célèbre parmi ces amateurs de haut rang reste Masuyama Sessai (1754-1819). Son encyclopédie est encore remarquée aujourd’hui, mais il est surtout connu pour avoir fait édifier après sa mort un mausolée afin d’honorer l’âme des insectes sacrifiés lors de ses observations minutieuses. On peut encore le visiter au sein du temple Kan.ei-ji à Tokyo.2

  1. TSUKAMOTO, p. 278.
  2. MARQUET, p. 23.

Le microscope, ce révolutionnaire

Cette approche du monde des insectes va radicalement changer à l’époque Edo, avec l’arrivée des bateaux occidentaux chargés d’objets variés, de livres et de matériel scientifique comme le microscope en vue de commercer avec le Japon. Rappelons ici que le Japon a fermé ses frontières et son commerce aux Occidentaux (avec une exception pour les bateaux néerlandais) dès 1640 et ne les rouvrira qu’en 1853, un peu avant l’avènement de l’ère Meiji. Le commerce privilégié entre la Hollande et le Japon va donner lieu aux “études hollandaises” ou rangaku.1

Il est particulièrement intéressant de réaliser que le Japon n’a de contact avec l’Occident qu’à travers la Hollande pendant plus d’un siècle. Les Japonais vont donc apprendre le néerlandais pour traduire les livres et communiquer avec les marins, fait assez exotique car après l’ouverture des frontières à la fin de l’époque Edo ils réalisent qu’en Occident personne ne parle néerlandais à part les Hollandais!

Anonyme, Microscope, in Kômô Zatsuwa (紅毛雑話), 1787, National Diet Library, Tokyo.

Ce goût pour l’exotisme occidental se traduit par le commerce de petits objets, de verrerie, de livres, de peignes, etc.2 Ce sont surtout les instruments de mesure et de vision comme la loupe, les lunettes ou encore le microscope ainsi que les traités illustrés de zoologie et de botanique qui vont fasciner les Japonais.3 Grâce à ses nouveaux outils optiques les observations d’insectes, qu’elles soient scientifiques ou artistiques, vont se développer de manière phénoménale et l’impact de cette nouvelle façon de voir le monde sur un public avide de nouveautés et d’exotisme venus de cet étranger interdit est important.4 Les artistes sont les premiers concernés par cette nouvelle approche et cette nouvelle représentation de la nature.5

  1. SCREECH, p.6.
  2. Ibid, p.8.
  3. MARQUET, p.23.
  4. SCREECH, p.194.
  5. IMAHASHI, p. 146.
Shiba Kôkan, Mouches et moustiques, in Kômô Zatsuwa (紅毛雑話), 1787, National Diet Library, Tokyo.

Le microscope ainsi que tous les outils optiques (les lunettes, la loupe, la longue vue, etc.) vont ouvrir des perspectives qui vont permettre une observation beaucoup plus minutieuse et plus scientifique de chaque insecte.

Petite anecdote révélatrice, la loupe en japonais se dit 虫眼鏡 (mushi megane) soit “lunettes/verre à insectes”.

Dans mon prochain article, je te présenterais une œuvre de Utamaro tirée de son album “Insectes choisis” (絵本虫選, Ehon mushi erami) publié en 1788. De quoi parler fleurs, de papillons et poésie burlesque en prenant le café.

Bibliographie

  • IMAHASHI Riko, Edo no dôbutsuga – kinsei bijutsu to bunka no kôkogaku 江戸の動物画、近世美術と文化の考古学 (“Les images d’animaux à l’époque d’Edo – archéologie de l’art et de la littérature moderne”), Tôkyô Daigaku Shuppankai 東京大学出版会, Tôkyô, 2004, 344 pp.
  • MARQUET Christophe (textes et poèmes traduits et présentés par), Kitagawa Utamaro, insectes choisis – Myriades d’oiseaux, éditions Philippe Picquier, Arles, 2012.
  • SCREECH Timon, The Lens Within the Heart: The Western Scientific Gaze and Popular Imagery in Later Edo Japan, University of Hawaii Press, 2002.
  • TSUKAMOTO Manabu, Edo jidai jin to dôbutsu 江戸時代人と動物 (“Les Hommes d’Edo et les animaux”), Nihon edita sukuru shuppanbu 日本エデイタースクール出版部, Tôkyô, 1995, 328 pp.
  • “Précis de peinture du Jardin du grain de moutarde” (version numérique) : http://classiques.uqac.ca/classiques/chine_ancienne/B_autres_classiques/KIAI_TSEU_YUAN_HOUA_TCHOUAN/petrucci_moutarde.pdf [consulté le 13.04.2023]

Haiku décortiqué #2 : Fukuda Chiyo.ni

Pour continuer sur le thème des papillons, voici un magnifique haiku de Chiyo.ni, une des poétesses les plus célèbre de l’époque Edo.

Petite récapitulation de ce qu’on attend d’un haiku classique:

  • la métrique 5-7-5, qui donne au haiku classique tout son sens et rend le poème réutilisable dans différentes situations (renga).
  • 1 kigo ou mot de saison qui pose un décor, provoque des images et des sensations dans l’imaginaire du lecteur
  • 1 mot de césure qui viendra donner de la profondeur au poème en suggérant une émotion plus ou moins intense.

L’analyse en image :

La métrique 5-7-5

Dans la traduction, j’ai choisi de laissé la ligne 1 un simple, c’est-à-dire sans chercher à combler la syllabe manquante. J’aurais pu mettre “de ces papillons” par exemple, mais cela aurait changé radicalement le sens du poème et la scène suggérée au lecteur. Ici l’accent est mis sur la ligne 3 (avec la césure). Ce que Chiyo.ni nous invite à regarder ces sont les fleurs des champs qui lui rappelle les rêves des papillons. “Ces papillons” donnerait à penser qu’elle voit les papillons, l’effet serait plus centré sur les papillons, ce qui n’est pas le choix de l’auteur.

Quand on a 17 syllabes pour charmer son lecteur, chaque mot a une importance cruciale. Ici il s’agit d’une traduction donc le travail est un peu différent, mais quand tu écris un poème essaye vraiment de trouver les mots justes. Si tu veux rajouter un adjectif pour combler le nombre syllabes par exemple, demande-toi toujours qu’est-ce que ce mot apporte? qu’est-ce que cet adjectif va provoquer comme images chez ton lecteur? est-ce qu’il vient renforcer l’émotion principale de ton poème ou est-ce qu’il va juste détourner l’attention de ton lecteur?

Un kigo

Ici le kigo est clairement les papillons. Voici la définition de ce kigo par Seegan Mabesoone sur son site proposant un éphéméride à l’usage des poètes :

Au printemps, les premiers papillons naissent de leur chrysalide, et sont encore visibles tout l’été et une partie de l’automne. Si les papillons ressemblent aux fleurs, c’est certainement parce que le seul but de leur vie est de butiner, librement. Quand on ne précise pas la saison, il suffit de dire “papillon” pour évoquer le printemps.

Seegan Mabesoone, http://www.osk.3web.ne.jp/logos/saijiki/saijikifp.html, n°100.

Les fleurs des champs ici viennent rehausser le kigo par un jeu d’échos. Les papillons légers et colorés du printemps et les fleurs colorées parsemant les champs, tous vouées à une fin précoce, symboles de l’éphémère.

Un mot de césure (kireji)

Il vaut mieux penser mot de césure que “la césure” car ce terme peut prêter à confusion avec son utilisation en littéraire française. Dans le haiku, le mot de césure sert à donner de l’émotion, sert à faire réagir le lecteur et l’invite à faire des liens avec sa propre expérience.

Ici le mot de césure est kana*. Il suggère l’admiration et invite le lecteur à savourer le(s) mot(s)que le précède(nt). Dans ce poème, tu es donc invité.e à “vivre” le champs de fleurs, à voir les coquelicots et les bleuets, à sentir les doux parfums venir à toi au gré du vent, etc. Cette profondeur émotionnelle est sublimée par la légère surprise du lien fait entre les papillons et les fleurs tout comme la vague d’émotion provoquée par ce spectacle des champs colorés.

*En japonais moderne, kana marque l’incertitude, ce n’est pas le cas en japonais classique.

Alors ?

Qu’est-ce que tu en dis ? Est-ce que ce genre d’analyse poussée t’aide, te questionne, te confond en perplexité ? N’hésite pas à partager tes ressentis avec moi.

(c) av, Sakura et papillon I, 2023.

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(C) Le Japon avec Andrea, 2023, tous droits réservés.

Papillon et pivoine, où comment les insectes peuplent les images à l’époque Edo (1/3).

Les insectes font l’objet d’une catégorie spéciale dans l’art chinois et japonais, celle des kusamushi-e (草虫絵) ou “Herbes et insectes”.

Depuis aussi loin qu’on se souvienne, les insectes ont sans cesse été observés, recensés, collectionnés puis peints ou gravés. Tout comme dans la catégorie des kachô-e (花鳥絵) “Fleurs et oiseaux”, où chaque espèces d’oiseaux est associée à une fleurs, ici, chaque insecte est associé à une herbe ou plante.

Comme le printemps s’en vient, aujourd’hui je te parle de papillon.

papillon chô

Le papillon est souvent associé à la pivoine, car tous deux représentent la longévité :

La pivoine pour son nom chinois meoutan qui comporte le mot tan (cinabre), drogue d’immortalité qui l’associe au phénix1. Le papillon pour le jeu de mot avec le terme “septuagénaire”, tout deux se disant t’ie.2 Par association, ces deux motifs ensemble sont devenu le symbole porte-bonheur de longévité.

Au Japon, la papillon est aussi un esprit voyageur qui peut annoncer une visite ou la mort d’un proche. Par extension, la rencontre avec un papillon blanc est perçu dans la croyance populaire comme la visite de l’âme d’un défunt.

Les représentations du thème des “herbes et insectes” sont ainsi des images véhiculant des messages symboliques et font le délice des amateurs lettrés qui sauront les déchiffrer.

Dans ce contexte, les estampes nishiki-e (錦絵, litt. “image de brocard”) étaient des supports privilégiés. Ce sont effectivement des œuvres luxueuses destinées à un public de riches amateurs, mettant en avant les prouesses de composition des artistes mais aussi le talent des imprimeurs tout en jouant sur les effets de mode.

  1. CHEVALIER Jean, GHEERBRANT Alain, Dictionnaire des symboles, éd. Robert Laffont et éd. Jupiter, Paris, 1982, p.762.
  2. Ibid, p.728.
Utagawa Hiroshige, Papillon et pivoines, estampe nishiki-e, encre sur papier, format chûban vertical, époque Edo, MFA Boston.)

Ici un magnifique exemple de Hiroshige dans un format vertical. Les pivoines délicatement colorées répondent à un papillon plutôt terne qui permet ainsi de ne pas saturer l’image. La composition simple et efficace de cette estampe ravi le spectateur qui se sent transporté en Chine.

La touche chinoise est encore accentuée par l’inscription en haut à gauche, imprimé dans une police particulière.


牡丹花福貴者也

Botange fukisha nari

“bénédiction de la fleur de pivoine” *

Répondant à la signature en bas à droite, ces deux inscriptions encadrent l’image harmonieusement et créent un jeu visuel délicat.

*traduction non vérifiée… je ne parle pas chinois ( ^-^ ).

Voici un deuxième exemple où on retrouve cette association du papillon et de la pivoine. Il s’agit cette fois d’une œuvre de Katsushika Hokusai.

Katsushika Hokusai, Papillon et pivoine, estampe nishiki-e, entre 1830 et 1850.

Ici les pivoines sont plus présentes, comme si Hokusai nous invitait à découvrir son jardin. Le spectateur peut imaginer plonger sa main dans le buisson et sentir le parfum envoutant des pivoines. Chez Hiroshige il s’agissait plus d’une image voulue synthétique, représentative d’un message symbolique. Ici les symboles sont tout aussi présents, mais donne l’illusion d’une plus grande intimité entre image et spectateur.

J’aime bien aussi le traitement du papillon qui nous montre un point de vue particulier puisque l’artiste a choisi de nous montrer les ailes vues de dessus, selon un angle peu évident.

Je termine avec un poème de Bashô :

物好や匂わぬ草にとまる蝶

monozuki ya niowanu kusu ni tomaru chô

.

un papillon se pose

sur une herbe sans odeur

curiosité

.

Dans mon prochain article j’aborderai l’influence occidentale dans la perception et la représentation des insectes dans les œuvres de l’époque Edo.

………………………………..

Lors de ma boutique popup “Un air de printemps”, les papillons seront aussi à l’honneur. Ne manque pas ces prochaines dates d’ouverture : 17 au 23 avril 2023. Ça se passera dans l’onglet “boutique”.

Je suis bien impatiente de te faire découvrir mes nouveaux motifs printaniers et mes produits spécialisés autour du haiku et du japonais!

Le livre du mois – février 2023

Hanafuda, le jeu des fleurs

Véronique BRINDEAU

Il existe au Japon un jeu de cartes très populaire, né au XVIe siècle, appelé hanafuda. Un jeu où il n’y a ni roi ni reine, mais des iris, des cerisiers et des saules ; et aussi des poèmes et des légendes, comme un herbier merveilleux de fleurs et de plantes révélant tout un réseau de paysages et de références littéraires.*

Février est un paysage en blanc et noir, comme une onde de neige dans les traits calligraphiés des branches de prunier. […] Les poètes l’associent à la neige, à l’aube naissante, au teint poudré d’une jeune fille […]. Fleur des calligraphes et des poètes, tous épris d’encre de Chine et de neige, le prunier sait aussi annoncer, comme le rossignol uguisu, auquel il est associé dans de nombreux poèmes, les couleurs vives du printemps proche.**

Un voyage à travers les fleurs et leur signification au Japon, de-ci de-là ponctué de poèmes.

Si le jeu en lui-même semble difficile d’accès car nous manquons de références, tu apprécieras sûrement les images délicates et surtout les explications détaillées des différents thèmes pour qu’un jour, pourquoi pas, le hanafuda fasse partie de tes jeux lors de dimanches pluvieux !

Dans un autre registre, cet ouvrage peut aussi venir alimenter ton herbier imaginaire et symbolique qui viendra enrichir tes haiku…

Au plaisir de lire tes commentaires!

……………………………………………………………………..

*BRINDEAU Véronique, “Hanafuda, le jeu des fleurs”, quatrième de couverture, extrait, éditions Philippe Picquier, 2014.

**Ibid, p.25-29.

La roue des kigo de printemps

Bon, ok , c’est pas une roue, mais l’essentiel est là!

Tu es en panne d’inspiration?

Tu n’arrives pas à choisir un kigo ?

Tu veux un peu de fun dans ta vie ?

Bam, voilà une petite joie à ajouter à ta liste aujourd’hui!

Mode d’emploi

Fais une capture d’écran (ou une photo avec ton téléphone si tu ne sais pas ce qu’est une capture d’écran…) de ma petite animation ci-dessous pour découvrir le kigo à utiliser aujourd’hui !

(C) Le Japon avec Andrea, tous droits réservés.

……………………………….

L’idée te plait?

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Le principe?

Des jeux, des défis, des explications et des exercices concrets pour réellement comprendre et intégrer les notions recherchées dans tout bon haiku qui se respecte (dixit Bashô) :

  • les mots de césures
  • la recherche de la simplicité
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  • la légèreté
  • l’humour
  • la confrontation de l’immuable et de l’éphémère
  • etc.

Une fois que tu t’es procuré la boite à outils, tu y auras accès indéfiniment ainsi qu’à toutes les mises à jours (et nouveautés).

Toutes les infos à venir fin de semaine prochaine, après ma semaine d’écriture d’après des œuvres d’art “Trouve l’inspiration… au fond de la toile!” du 27 février au 05 mars 2023 (gratuit, avec options bonus).

Le lapin au Japon, entre zodiaque et folklore

As-tu déjà remarqué à quel point le lapin est populaire dans l’art et la culture japonaise ?

Tu seras peut-être surpris d’apprendre que cette créature à fourrure a une place un peu spéciale dans le zodiaque. Le lapin est le 4e des 12 animaux qui composent le zodiaque japonais, et on dit qu’il est un symbole de bonne chance malgré l’ambivalence de son signe.

Dans cet article, nous allons examiner de plus près le lapin dans le zodiaque japonais et sa place dans le folklore populaire.

Le lapin dans les signes du zodiaque japonais

Le lapin est associé aux signes du zodiaque en tant que symbole de fertilité et de nouveaux départs. Cet animal qui a toujours été associé à la lune, notamment car c’est un animal qui dort le jour et vit la nuit. Il se fond également dans son environnement grâce à son pelage et peut ainsi apparaitre et disparaitre, comme la lune dernière les nuages. Le lapin est surtout associé au symbolisme du renouvellement perpétuel de la vie, du cycle des saisons où la lune joue un rôle important.1 Ainsi la vie et la mort, l’ombre et la lumière, l’abondance et le malheur sont des ambivalences indissociables de la figure du lapin.

Le côté positif du lapin est lié au fait que ce sont des animaux exceptionnellement fertiles en raison de leur taux de reproduction élevé. De la même manière, le lapin représente aussi l’abondance car il a besoin de beaucoup de ressources pour se reproduire. Enfin, ses longues oreilles ont également été utilisées symboliquement pour représenter la chance.

Malgré ces nombreux points positif, le lapin reste un animal lunaire et on ne saurait donc oublier son côté plus sombre. S’il apporte la bonne fortune, il peut aussi apporter la désolation. Ainsi le lapin, figure populaire et agraire, est passé maître dans les domaines de la paresse et de la boisson, deux habitudes connues menant à la faillite des commerces et instaurant le malheur dans les familles. Si sa fertilité peut mener à l’abondance, son pendant reste le gaspillage, la luxure et à la démesure.2

Pour revenir au signe de l’année du lapin, on retrouve cette ambivalence. L’année du lapin peut être très positive ou plutôt mauvais3 selon l’humeur de ton lapin. Placé entre l’année du tigre et celle du dragon, deux signes “féroces”, l’année du lapin fait office de balance, offrant un moment de répit entre deux signes aux forces supérieures et potentiellement chaotiques.

1. CHEVALIER Jean, GHEERBRANT Alain, Dictionnaire des symboles, éd. Robert Laffont et éd. Jupiter, Paris, 1982, p.571.

2. Ibid, p.573.

3. Idem.

Le lapin dans le folklore japonais: poétique et malicieux

Le lapin occupe une place particulière dans le folklore japonais, popularisée grâce à la célèbre légende du Lapin dans la lune :

Le légende dit qu’un dieu un jour décida de se rendre sur terre et de prendre l’apparence d’un homme affamé afin de se rendre compte de la capacité des animaux à se procurer de la nourriture. A sa vue, tous les animaux de la forêt lui apportèrent à manger: le singe alla chercher des fruits dans les arbres, l’ours alla pêcher du poisson, les oiseaux lui apportèrent vers et insectes. Seul le lapin était déconcerté. Il avait beau chercher, il ne voyait pas ce qu’il pourrait offrir à l’homme affamé. Alors, il fit un feu et se jeta dedans afin d’offrir sa chair elle-même en nourriture à l’homme. Le dieu tout ému décida de lui sauver la vie et pour le remercier, l’envoya vivre dans la Lune. C’est pour ça que depuis, il y a un lapin dans la lune.

Cette légende est souvent racontée au moment du solstice d’automne et de la fête Tsukimi 月見 (litt. “aller voir la lune”) lorsque l’on fabrique des mochi rond et blanc symbolisant la lune que l’on dégustera pendant les moments de contemplation dans la nuit automnale.

On retrouve le côté malicieux et du lapin notamment dans les contes folkloriques où il est connu pour jouer des tours aux humains et aux animaux, à l’instar du renard et du blaireau. Malgré les apparences ces personnages filous sont aussi généralement considérés comme des créatures de sagesse, comme des dieux déguisés. Si le côté espiègle du lapin est souvent mis en avant, il ne faut jamais sous-estimer son intelligence ! Aussi malicieux que le lapin puisse être, on lui attribue toujours le mérite de préserver l’équilibre entre les humains, la nature et notre environnement.

Le fait qu’il soit si rusé donne lieu à des histoires vraiment intéressantes dans la culture japonaise, souvent axées sur sa capacité à se montrer plus malin que tout le monde, y compris les dieux ou d’autres éléments surnaturels, ce qui lui donne une aura vraiment spéciale dans le folklore japonais.

Pour exemple je t’invite à découvrir le conte “Pourquoi le lapin n’a pas de queue” que tu trouveras dans le fascinant ouvrage de Maurice COYAUD, Aux origines du monde, contes et légendes du Japon, éd. Flies France, Paris, 2001, p. 61-70.

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Le mois prochain je te parlerai du Chōjū-giga (鳥獣戯画, lit. « Caricatures d’animaux »), rouleau peint du XIIe où la figure du lapin est particulièrement présente.

Ma prochaine boutique en ligne consacrée à la papeterie fera également la part belle aux petits lapins. Rendez-vous sur la boutique en ligne du 06 au au 12 février 2023 pour découvrir mes nouvelles créations.

Il ne me reste plus qu’à ta souhaiter une merveilleuse année du lapin !

じゃね!A bientôt!