Une question d’honneur, le Chūshingura ou la légende des 47 rônins (1/5): un idéal guerrier.

Est-ce que tu as une âme guerrière ?

Si à Genève on fête l’Escalade1 le 12 décembre, les Tokyoïtes, eux, célèbrent la loyauté de ses fameux 47 rônins le 14 décembre.2

Le Chūshingura (忠臣蔵) ou la légende des 47 rônins est l’un des épisodes historiques favoris des Japonais. Elle a été reprise et adaptée d’innombrables fois au fil des ans, des pièces traditionnelles japonaises de kabuki aux films hollywoodiens, car même en Occident, cette légende est célèbre.

Aux sources de la légende: le bushidô

Pourquoi est-ce que cette histoire de guerriers déchus marque autant les esprits?

Tout simplement parce que cette histoire, devenue légende, met en avant les valeurs guerrières japonaises dans leur absolue essence et ainsi fait écho à un certain idéal martial.

Le bushidô (武士道, litt. “la voie des guerriers”) est un ensemble de codes de conduite, de principes moraux et de valeurs transmis de génération en génération de manière orale.3 Les principes du bushidô trouvent leurs racines dans les différents courants de pensée qui ont marqué le Japon au fil des siècles: bouddhisme, shintoïsme et confucianisme.

Si le premier enseigne “la soumission tranquille à l’inévitable”, une attitude stoïque face au danger et un certain dédain de la vie4 , le second prône la loyauté envers le souverain, la piété filiale et un certain patriotisme créant ce lien inébranlable entre la nation, les ancêtres et l’empereur5, unifiant tous les hommes à un même idéal. Le confucianisme quant à lui fournit au bushidô ses principes éthiques régissant les rapports entre les guerriers et le reste du monde.6

Si le caractère rude du guerrier et l’importance associée à son rang et son honneur pourraient le rendre susceptible et arrogant, les concepts puisés dans les différents courants de pensée évoqués plus haut permettent de pondérer le caractère du guerrier qui cherchera toujours l’harmonie dans ses actions et dans ses attitudes.7

Les principales qualités recherchées chez un guerrier sont :

  • la justice
  • la loyauté
  • le courage
  • la maîtrise de soi
  • la compassion
  • la piété filiale
  • la politesse
  • la sincérité
  • l’honneur

Plus concrètement, la classe sociale des bushi (武士) s’est définie en fonction du contexte historico social du 12e siècle jusqu’à 1603, début de l’ère Edo, période durant laquelle le pays est déchiré par des guerres civiles successives.

La guerre est le processus naturel de sélection chez les guerriers: les plus forts, les plus valeurs, les plus combattants vivent et ainsi deviennent dignes des honneurs, des privilèges et des hautes responsabilités. A noter que jusqu’au 12e siècle ces privilèges et hautes responsabilités étaient réservés aux hommes de cour. En effet, la première institution féodale est créée au 12e siècle avec l’instauration du premier shogun, Minamoto no Yoritomo. Le shogun est le général détenteur du pouvoir effectif (militaire) par opposition à l’empereur qui conserve le pouvoir religieux.

C’est dans ce contexte que le bushidô comme énonciation des règles de conduite et d’un code moral commun a joué un rôle fondamental.

Il est peut-être intéressant de rappeler que l’idéal absolu du bushi est la paix. Il ne dégainera son sabre qu’en dernier recours, que s’il a épuisé toutes ses ressources de diplomatie, de courtoisie et de bienséance.8

Revenons à nos rônins

Dans le cas du Chûshingura, même s’il s’agit au départ de faits historiques avérés, la légende à très tôt pris le dessus en personnifiant ces valeurs, celles du bushidô, à travers chaque personnage. Idéalisés ou caricaturés, les protagonistes donnent à vivre un idéal guerrier qui résonne dans le cœur des Japonais (et des amoureux du Japon).

Dans cette série d’articles consacrés au Chûshingura, je t’invite à découvrir avec moi les trames de cet événement tragique, mais aussi la richesse iconographique liée à la légende des 47 rônins et ce qu’il reste aujourd’hui, notamment grâce au temple Sengakuji (泉岳寺) à Tokyo. C’est parti!

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Notes

  1. L’Escalade fait référence à l’assaut infructueux du Duc de Savoie Charles-Emanuel 1er (catholique) contre la république protestante de Genève la nuit du 11 au 12 décembre 1602.
  2. Si la date retenue officiellement pour les célébrations est celle du 14e jour du 12e mois de l’an 15 de Gennroku (14 décembre 1702), à l’origine, selon le calendrier lunaire, le dénouement final a eu lieu le 30 janvier 1703. (SOULIE DE MORANT George, Les 47 rônins, le trésor des loyaux samouraïs, Budo éditions, 2006, avis au lecteur.)
  3. NITOBE Inazô, Le bushidô, L’âme du Japon, Budo éditions, p.18.
  4. Ibid, p.23.
  5. Ibid, p.24-25.
  6. Ibid, p.26.
  7. Ibid, p.24.
  8. YAMAMOTO Tsunetomo, Hagakure, Ecrits sur la Voie du samouraï, traduit par NICKELS-GROLIER Josette, Budo éditions, 2005, p.116.

Couverture: Utagawa Hiroshige, Chūshingura (忠臣蔵), Acte XI , épisode 2, Entrée par effraction dans le palais de Kira (Youchi ni, rannyū), estampe ukiyoe, 1836.

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